Une
vraie transgenre qui vit sa vie ouvertement comme elle l'entend
Comment suis-je devenue une transgenre?
La naissance d'une transgenre en 1986
Le mot Transgenre et l'échelle de Benjamin
Pourquoi suis-je devenue une transgenre? C'est probablement la seule question à laquelle il n'y a pas de réponse logique ou certaine. La seule réponse qui me vient à l'esprit est que je sentais au fond de moi que je désirais vivre de manière différente. Il me semblait que l'apparence que j'avais n'était pas celle que j'aimerais avoir. Par exemple, une personne peut préférer vivre en ville et une autre à la campagne. Une personne peut préférer travailler à salaire et une autre être à son compte. Une personne peut préférer avoir des enfants et une autre ne pas en avoir. Il peut y avoir un grand nombre de facteurs qui expliquent ces désirs mais cela n'est pas toujours évident. De la même manière, un homme peut préférer vivre en homme et un autre peut préférer vivre en femme. Vous allez
dire que
la comparaison est boiteuse mais elle représente quand
même
une certaine réalité. En 1965, à l'âge de 13 ans, j'ai mis mon premier soutien-gorge. Pourquoi? Par curiosité! Je voulais savoir pourquoi une femme portait un soutien-gorge tandis que moi je n'en portais pas? Je voulais savoir à quoi sert un soutien-gorge et cela je l'ai compris lorsque j'ai appris qu'une femme avait des seins tandis que moi je n'en avais pas. Je voulais savoir ce que ressent une femme qui en porte un. J'ai trouvé cela différent et intéressant. Vers le même âge et toujours par curiosité, j'ai également mis mon premier jupon et mon premier costume de bain long. J'ai
également
trouvé cela différent et intéressant.
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Cela signifie que je me suis habillée avec un soutien-gorge, une petite culotte, des bas de nylon, une robe et des souliers à talons hauts. Pourquoi? Je sais qu'il s'agissait encore d'une simple curiosité d'adolescente. Si au moins
je m'étais
habillée en femme pour l'Halloween, j'aurais pu sortir à
l'extérieur, compléter cette expérience
intéressante
et ainsi en tirer des conclusions mais cela ne s'est pas produit.
Je voulais également savoir pourquoi une femme peut porter des tissus doux comme la soie, le satin, le nylon, etc. tandis que moi je ne peux pas en porter même si j'adore la douceur de ces tissus? Cela s'appelle de la sensualité. L'attrait du fruit défendu est souvent très fort et après tout, je ne fais de mal à personne.En 1975, à l'âge de 23 ans, j'ai fait son premier maquillage et ma première sortie à l'extérieur, de soir évidemment. C'était
une
fantaisie, c'était amusant voire excitant. J'étais
heureuse
mais effrayée à la pensée d'être
découverte. En 1977, à l'âge de 25 ans, à Paris, je suis sortie habillée en femme à quelques reprises. J'en ai
également
profité pour acheter quelques morceaux de lingerie pour
augmenter
ma garde-robe. De 25 ans
à
34 ans, je suis sortie habillée en femme à quelques
reprises
pour améliorer ma confiance et mon aisance mais toujours dans un
relatif anonymat. [Haut]
Qui suis-je? Accessoirement, je me suis posée les autres questions existentielles traditionnelles. D'où je viens? Où je vais? Pourquoi j'y vais? Comment vais-je y aller? Quel est le sens de la vie? Pourquoi suis-je sur la Terre? Mais est-ce bien nécessaire de trouver une réponse absolue à ces questions? Cependant, je me suis demandée si je n'aimerais pas plutôt vivre en femme qu'en homme car il me semblait que je partageais plus de points communs avec les femmes qu'avec les hommes. Certes, je suis très différente de ce que je pourrais définir comme étant la "femme moyenne" mais je suis aussi très différente de ce que je pourrais définir comme étant "l'homme moyen". De plus et pour être honnête, je me sens toujours bien lorsque je suis habillée en femme. Notez bien que cela ne signifie pas que je déteste être habillée en homme mais cela signifie que si j'ai le choix, je préfère être habillée en femme. Je préfère porter une belle robe avec des bas de nylons et des souliers à talons hauts que de porter un veston, une chemise, une cravate et un pantalon. Je me sens plus confortable, davantage moi, quand je suis habillée en femme. Cela n'est pas une question de logique mais une question de sentiment, de mieux-être. En 1986, j'ai décidé que si je devais un jour et de manière plus progressive, plus importante ou plus permanente vivre en femme, travailler habillée en femme, sortir habillée en femme, voyager habillée en femme et finalement m'intégrer le plus possible au monde des femmes, il serait logique que je choisisse un prénom "traditionnellement féminin" pour m'identifier en tant que femme et ainsi donner un nom à celle que j'appelle affectueusement ma "soeur jumelle" ou mon alter ego. J'ai donc
commencé
peu à peu à me procurer des cartes d'identité, des
cartes d'abonnement, des cartes de crédit à mon nouveau
nom de femme
et à ouvrir un compte de téléphone, un compte
d'électricité,
un compte de câblodistribution, un compte de banque, etc.
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En 1995, à l'âge de 43 ans, j'ai commencé à voyager habillée en femme au Canada et aux États-Unis. J'ai donc voyagé dans d'autres provinces et à traversé la frontière américaine habillée en femme en automobile, en autobus, en train, en avion et même en bateau comme le ferait toute autre femme. Cependant, tout au long de mes voyages, je rencontrais toujours de légères difficultés pratiques compte tenu du fait que, par exemple, ma carte de crédit avec laquelle j'avais réservé mon billet d'avion et la location d'une automobile était à mon nom de femme tandis que mon passeport et mon permis de conduire étaient émis sous mon nom d'homme. Au mois de septembre 1997, à l'âge de 45 ans, je décide de déposer une demande de changement de nom auprès du Directeur de l'état civil de la Province de Québec pour faire ajouter mon prénom de femme sur mon acte de naissance afin de pouvoir obtenir un passeport et un permis de conduire à mon nom de femme pour résoudre une fois pour toutes ces légères difficultés pratiques. Éventuellement et afin de maintenir la cohérence dans mon identité, je devrai également un jour demander l'émission d'une carte d'assurance sociale, d'une carte d'assurance maladie et autres documents à mon nom de femme. Entre
temps, le mercredi
13 mai 1998, je fais un grand pas en avant et décide de vivre ma
vie en femme de manière permanente. À partir de cette
date, je m’identifie uniquement comme une femme sous mon nom de femme. Finalement, le tribunal rend un jugement par lequel les juges ajoutent mon prénom de femme à mon acte de naissance. C'est la fin d'une première bataille qui aura duré cinq ans et deux mois et le début de ma vie légale sous un nom de femme. Enfin, le 9 septembre 2016, le Directeur de l'état civil change la mension de sexe sur mon acte de naissance de Homme à Femme, ce qui fait de moi une transsexuelle. Je suis maintenant officiellement
une femme portant un nom
habituellement associé à une femme. C'est la fin d'une longue bataille qui a commencé en 1997 et qui s'est terminée en 2016, soit durant 19 années. [Haut]
Je n'ai jamais choisi et je n'ai jamais voulu que mon histoire devienne publique mais à la suite des articles parus dans les journaux et des nombreuses entrevues télévisées qui ont suivi la publication des articles relatifs à différents jugements, il était évident que mon histoire était devenue publique. J'avais alors deux choix possibles : ne rien dire aux journalistes et les laisser ainsi écrire ce qu'ils trouveraient comme information ou rencontrer les journalistes pour leur donner l'heure juste et ainsi présenter une image positive d'une transgenre qui aurait pour effet de faire évoluer positivement l'image que la population se fait d'une transgenre, d'une travestie ou d'une transsexuelle. J'ai choisi la deuxième option et j'ai accepté d'être disponible pour les journalistes car je considère que c'est la meilleure manière de faire quelque chose de positif pour la société. Le reste
fait maintenant
partie de l'histoire. |
Dans le
schéma
traditionnel qui comprend la travestie, la transgenre et la
transsexuelle,
je peux dire que j'ai été une travestie de 13 ans
à
43 ans avec toutes les nuances et toutes les restrictions qu'il est
possible
d'y apporter et que je suis maintenant une transgenre depuis
l'âge
de 43 ans.
De 13 ans à 18 ans, je suis une travestie curieuse parce que je cherche à comprendre mais je demeure cachée. De 18 ans à 23 ans, je suis une travestie fantaisiste et peut-être même fétichiste parce que je m'amuse à m'habiller en femme mais je demeure cachée. De 23 ans à 34 ans, je suis une travestie secrète parce que je veux être vue sans être vue. Je veux sortir mais je ne veux pas être reconnue. De 34 ans à 40 ans, je suis une travestie sérieuse qui sort habillée en femme dans l'anonymat mais qui veut se donner une identité de femme sans savoir encore ce qu'est une transgenre. De 40 ans à 43 ans, je suis une travestie visible qui sort habillée en femme et qui a maintenant une identité de femme. De 43 ans à 45 ans, je suis une transgenre connue qui se découvre et qui a maintenant une identité de femme. De 45 ans
à 64 ans, j'ai pris des hormones pour faire grossir mes seins et
je
me suis soumise à des traitements au laser pour faire
disparaitre
des poils superflus. Je suis une transgenre reconnue qui vit de
façon
permanente en femme et je n'ai pas été
opérée. De 64 ans
à aujourd'hui et avec le changement de la mention de sexe sur
mon acte de naissance de Homme à Femme du 9 septembre 2016, je
suis maintenant considérée comme une transsexuelle. Cela signifie que je travaille habillée en femme, que je sorts habillée en femme, que je voyage habillée en femme et que je m'intègre le plus possible au monde des femmes. Aujourd'hui, toutes mes pièces d'identité sont à mon nom de femme. Je suis une personne qui se sent à l'aise et j'en suis très fière et heureuse. Cependant, cela ne veut pas dire qu'un jour j'aurai un vagin. En ai-je besoin? La réponse est non. Je suis satisfaite de mon corps actuel et je n'ai pas l'intention d'y apporter le moindre changement dans un avenir prévisible.Cependant, il est toujours possible que, d'ici un certain nombre d'années, j'aie un vagin et, si c'est le cas, je serai une femme heureuse et fière. Que sera sera - What ever will be,
will be - Qui vivra verra
|
Durant les années 90s, j'ai popularisé au Québec et au Canada l'utilisation du mot transgender et de sa version française transgenre pour expliquer ma situation personnelle car le tableau ci-dessous relatif à l'échelle transgenre selon Harry Benjamin ne présente pas ma situation personnelle. Où suis-je dans cette échelle? Hors échelle évidemment. Mais c'est un effort de classification qui donne à réfléchir. |
Selon ce tableau, la classification qui se rapproche le plus de ma situation personnelle se situe entre le Type V - Transsexuel à intensité modérée et le Type VI - Transsexuel à haute intensité. Analysons donc ma situation personnelle en regardant cette classification à la lumière des Types V et VI : Oui, mon genre physique est féminin et c'est ainsi que je me décrits. Je me sens femme à 100 % mais si mon corps n'est pas celui d'une femme génétique ou de naissance. Oui, je vis et je travaille en femme, mais en tout temps, pas seulement si possible. Par contre, je n'éprouverai pas de grand désarroi si je dois m'habiller différemment pour différentes raison pratiques dans certaines occasions. Par exemple, je pourrais m'habiller ou me «travestir en homme» pour visiter un pays musulman qui appliquerait une politique trop restrictive à l'encontre des femmes ou des travestis, transgenres et transsexuels ou pour visiter tout pays où ma sécurité pourrait être en danger en étant encore physiquement une personne a moitié homme qui s'habille en femme. Je ne suis pas homosexuelle : avant ma transformation, j'aimais les femmes et j'aime toujours les femmes. D'ailleurs, je me suis mariée avec une femme et j'en suis très heureuse. Sur ce point, j'ai toujours dit qu'il ne faut pas confondre le genre, le sexe et l'orientation sexuelle. Mon genre est féminin et je me présente comme une femme. Mon sexe est masculin car je suis née homme et que je possède toujours mon pénis. Par contre, je possède également des seins que j'ai acquis par un traitement hormonal. Enfin, mon orientation sexuelle est toujours la même, à savoir que je suis orientée vers les femmes. Certaines personnes vont même me qualifier de lesbienne mais je ne crois pas que ce vocable me décrit parfaitement. J'ai un désir et une attraction vers les femmes, mais je ne refuse pas les compliments provenant d'un homme. Cela est toujours agréable d'entendre des compliments ou des flatteries, d'être invitée à danser, de se faire offrir un verre, de recevoir des fleurs, etc. Le terme bisexuel ne s'appliquerait pas non plus à moi car il s'adresse réellement à une catégorie de personne qui recherche des relations sexuelles avec toute personne quelque soit son sexe. Dois-je subir une opération de changement de sexe? La réponse est Non car je suis satisfaite de mon corps actuel et je n'ai pas l'intention d'y apporter le moindre changement dans un avenir prévisible. Par contre, si j'avais l'option d'avoir un vrai corps de femme sans chirurgie comme si j'étais née femme, je ne dis pas Non. Autrement dit, si je pouvais renaitre en femme, j'aimerais cela énormément. J'ai apporté certaines modifications à mon corps en prenant des hormones et en recourant à l'épilation au laser, et si possible, j'aimerais perdre du poids et retrouver «ma taille de jeune fille». Cela est difficile mais pas impossible. Par contre, je ne suis pas encore au stade de recourir à la chirurgie pour perdre du poids même si j'aimerais. Seul l'avenir le dira. Dois-je avoir des implants pour augmenter la grosseur de mes seins? J'y pense de temps à autre mais cela ne me semble pas si important bien que j'aimerais avoir de plus gros seins. Je suis ambivalente, mais cela ne constitue pas une préoccupation ou un besoin qui doit être satisfait. Encore une fois, seul l'avenir le dira. Devrais-je avoir recours à la psychothérapie? Je ne le crois pas car je sais qui je suis. Je suis une personne avec une personnalité complexe, comme tout autre personne, mais surtout avec une personnalité différente de la majorité des femmes et des hommes «conventionnels». Comme je le dis toujours, il y a au moins trois options ou solutions : la bonne solution, la mauvaise solution et ma solution et rien ne dit que ma solution ne pourrait pas être la meilleure solution. Toute classification, incluant l'échelle transgenre selon Harry Benjamin, est bonne en soi comme base pour expliquer les différences entre certaines personnes mais elle ne saurait constituer la seule et unique réponse absolue à la problématique transgenre. Dans mon cas, je me sers de cette échelle pour expliquer où je suis et comment je me différencie des Types I à VI. Dans mon cas, l'opération n'est pas forcément souhaitable mais cela pourrait être envisagé même si je n'en vois pas la nécessité. De plus, je ne renie pas mes organes mâles et il n'y a aucun risque d'automutilation ou de suicide. Je suis qui je suis, à savoir une femme très spéciale. Pourquoi vouloir à tout prix me classifier dans une classification qui ne correspond pas à la réalité? Cela est peut être plus rassurant pour certaines personnes, mais cela ne représente pas la réalité. Oui, il y a des femmes et des hommes dits «normaux». Mais il y a aussi des homosexuels, des lesbiennes, des bisexuels, des transgenres, des travestis, des transsexuels et d'autres personnes avec des variations plus ou moins fortes. Alors, acceptez cette réalité et cessez de vouloir «guérir» toutes ces personnes. La nature nous a fait ainsi. Je me définie comme étant une transgenre mais selon l'échelle de Benjamin, je suis une transsexuelle. Est-ce réellement important de me qualifier de transgenre ou de transsexuelle ou autre ? |
Les conséquence d'être devenue une transgenre J'ai perdu un emploi que j'aimais. J'ai perdu des amis ou des personnes qui se disaient mes amis. Beaucoup d'emplois me sont fermés ou se ferment lorsque l'employeur me voit. Les employeurs ont peur d'engager une «transgenre ou une transsexuelle» car cela n'est pas politiquement correct. Plusieurs personnes font preuve de discrimination à mon égard. Est-ce que je profite du beau côté des deux mondes, celui de l'homme et celui de la femme? Pour plusieurs, je subis le mauvais côté des deux mondes. Les chartes des droits m'accordent peut-être certains droits mais je dois me battre pour les faire respecter et cela demande énormément de temps, d'argent et d'efforts. Même si la situation est parfois difficile, je continue à tenir fermement le cap car je sais que je vais passer à travers ces difficultés; ce n'est qu'une question de temps. De plus, je peux compter sur le
support
de ma conjointe et de ma famille et cela m'est d'un grand
réconfort.
Je brise les barrières en tant que transgenre J'enseigne à l'université. Je suis présidente de syndicat. J'ai travaillé au gouveernent. J'ai été désignée comme représentante de la Coalition gaie et lesbienne du Québec auprès de l'ECOSOC, le Conseil économique et social de l'Organisation des nations unies. J'ai fait plusieurs autres choses.J'ai fait tout cela en tant que femme et transgenre et cela a permis d'abolir certaines barrières. Le parcours est long et difficile mais il doit être fait et il sera fait.
Je dis, avec un sourire, qu'il faut être un homme fort et fier comme moi pour faire une femme forte et fière comme moi. Je suis la
première
transgenre connue au Québec et c'est moi qui doit donc ouvrir
les
portes. Il y a cependant un prix à payer et ce prix est assez
lourd, mais je l'accepte pour avoir le droit de vivre ma vie comme je
l'entends. En janvier 1933, à l'occasion
d'un discours mémorable, Franklin Delanoe Roosevelt,
Président des États-Unis d'Amérique de 1932
à 1945, a dit : Winston Churchill, premier ministre du
Royaume-Uni de 1940 à 1945, a dit : [Haut]
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Le mot de la fin
En
finissant
d'écrire cette page, je pense à une chanson dont les
paroles
et la musique sont de Guy Béart et qui me fait penser à
ma
situation à chaque fois que je rencontre un obstacle. Cette
chanson,
c'est :
Merci d'être avec moi |